Le lieu de baptême du Christ aurait été identifié en Jordanie

Une équipe d'archéologues jordaniens présente le site de Wadi el-Kharrar, à proximité du Jourdain, comme le lieu de baptême du Christ. Une thèse que confirment tant l'évangile selon saint Jean que des récits anciens de voyageurs et qu'a confortée la visite du pape Jean Paul II en 2000. Sur place, de nombreux vestiges récemment mis au jour montrent que, dès le Ier siècle, Wadi el-Kharrar serait devenu un lieu de pèlerinage des premiers chrétiens, comme l'atteste la présence de bassins baptismaux, d'une église de saint Jean-Baptiste plusieurs fois reconstruite au même endroit et d'un monastère. L'émergence de ce site a suscité quelques tensions entre la Jordanie, d'une part, et Israël et l'Autorité palestinienne, d'autre part, qui assurent que le Christ a été baptisé en Cisjordanie, à Qasr el-Yahoud. Wadi el-kharrar (jordanie) de notre envoyé spécial Au nord de la mer Morte, le Wadi el-Kharrar serpente sur quelque 2 kilomètres pour déboucher sur la rive orientale du Jourdain.

Tout proche du fleuve biblique, ce petit oued (wadi) est, depuis 1998, présenté par le département jordanien des antiquités comme le lieu du baptême du Christ. Et, alors qu'à quelques kilomètres des fouilles archéologiques la construction d'un complexe touristique vient de s'achever, le site s'ouvre progressivement aux visiteurs. Les Evangiles restent vagues sur la localisation du baptême du Messie. Seul l'évangéliste Jean donne un nom au lieu où "Jean prêchait et baptisait". Jean situe l'événement à "Béthanie, au-delà du Jourdain"(Jean 1, 28), c'est-à-dire, dans la terminologie des Evangiles, sur la rive orientale du fleuve.

C'est, précisément, le lieu qu'affirme avoir découvert, le long du Wadi el-Kharrar, une équipe d'archéologues jordaniens dirigée par Mohammed Wahib. Une théorie à laquelle la visite du pape Jean Paul II sur le site, en mars 2000, a contribué à donner quelque crédit. Les premiers récits de pèlerinage en Terre sainte concordent, il est vrai, de façon troublante avec les découvertes des chercheurs jordaniens. A l'extrémité du wadi, à quelque 50 mètres du cours actuel du Jourdain, les archéologues ont ainsi mis au jour les restes de trois églises superposées, dont la plus ancienne remonte au début du VIe siècle. Pour Mohammed Wahib, il ne fait aucun doute qu'il s'agit là de "l'église de saint Jean-Baptiste" décrite par les premiers pèlerins venus aux abords du Jourdain commémorer le baptême du Messie. "A l'endroit où le Seigneur a été baptisé (...) se trouve l'église de saint Jean-Baptiste, construite par l'empereur Anastase", écrit notamment, vers 530, le patriarche d'Alexandrie Théodose, à l'issue de son voyage en Terre sainte. Une église que Théodose situe bien sur la rive orientale du Jourdain.

Deux siècles auparavant, certaines relations de voyage, comme celle de l'anonyme Pèlerin de Bordeaux, autour de l'an 330, situent également le baptême sur la rive orientale, "à 5 milles romains" (un peu plus de 7 kilomètres) au nord de la Mer morte. A cette époque, on ne trouve pas mention d'une église. "La première église était bâtie sur des arches, à environ 6 mètres au-dessus du sol, en raison des fortes crues du fleuve, avance Rustom Mkhjian, architecte, responsable de la restauration du site. Elle s'est probablement effondrée à la suite d'un tremblement de terre, à une date qu'il est difficile de déterminer avec précision. Toujours est-il qu'elle a été reconstruite deux fois, au niveau du sol, les architectes byzantins espérant ainsi que les séismes futurs resteraient sans effet sur l'édifice."

L'affaissement des fondations montre que les deux églises ont tour à tour été victimes de crues particulièrement importantes. Surtout, explique M. Mkhjian, les constructions successives - probablement opérées sur une durée de deux siècles - de lieux de culte sur le même emplacement témoignent de l'importance particulière conférée à cet endroit précis. Au sol, près de l'autel, des fragments de mosaïque sont encore visibles. Cet été, un escalier partiellement effondré, menant de l'autel de l'église à une dizaine de mètres en contrebas, a été mis au jour. Selon Rustom Mkhjian, cet escalier, qui s'achève par une rampe de pierre, devait permettre aux pèlerins, à l'issue de l'office, d'entrer dans les eaux du fleuve. Aujourd'hui, les marches ne mènent plus au Jourdain, qui coule à une quarantaine de mètres plus à l'ouest. Son cours, estiment les archéologues, s'est quelque peu infléchi depuis le Ve siècle. Une supposition que confirme une étude géologique menée par l'université de Jordanie sur le site.

COLONNE VOTIVE

Tout à côté de l'endroit où les premières marches devaient pénétrer dans les eaux du fleuve, un bloc de pierre d'environ 2 mètres de côté a été dégagé. Il pourrait s'agir, selon M. Mkhjian, du socle d'une colonne votive mentionnée par plusieurs pèlerins. L'évêque franc Arculphe, vers 670, décrit ainsi une "colonne de marbre surmontée d'une croix", supposée marquer l'endroit exact du baptême du Christ. De nouvelles découvertes jugées "très importantes" par Michele Piccirillo, archéologue et professeur d'histoire et de géographie biblique. Ce franciscain, qui a "redécouvert" le site de Wadi el-Kharrar en 1995, un an après la signature du traité de paix israélo-jordanien, rappelle que le wadi semble avoir été occupé dès le Ier siècle. En témoignent des tessons et des monnaies de la période romaine, retrouvés au cours des premières fouilles. Celles-ci avaient également permis l'identification, le long de la vallée, de cinq vastes bassins baptismaux, attestant que le rite du baptême a, ici, été pratiqué à grande échelle. Deux de ces bassins, selon les archéologues, ont été creusés vers le Ier siècle, pour être ensuite consolidés, probablement entre le Ve et le VIe siècle. De plus, sur le tertre surplombant l'entrée du wadi, à quelque 2 kilomètres du Jourdain, les vestiges d'un monastère, contemporain de la première église de saint Jean-Baptiste, ont été également dégagés. Selon les archéologues, l'édifice aurait été bâti sur un site plus ancien, remontant probablement au début de notre ère.

TRAVERSÉE PÉRILLEUSE

Une telle concentration de vestiges atteste de l'importance accordée au site, aux toutes premières heures du christianisme. Toutefois, à compter du VIIe et du VIIIe siècle, les pèlerins cessent progressivement de franchir le Jourdain pour commémorer le baptême du Messie. L'émergence de l'islam, sans doute, dissuade les chrétiens d'entreprendre une traversée jugée périlleuse. Peu à peu, Wadi el-Kharrar s'efface des mémoires au profit de Qasr el-Yahoud, sur la rive occidentale du fleuve, plus facile d'accès aux pèlerins venant de Jérusalem. Les deux sites revendiquent aujourd'hui la même importance historique et religieuse, ce qui a suscité quelques tensions entre Israël et l'Autorité palestinienne, d'une part, et la Jordanie, d'autre part. Les dernières excavations opérées à Wadi el-Kharrar donnent cependant au site jordanien une sérieuse prééminence sur son rival cisjordanien. Même si, comme le regrettent certains archéologues, aucune publication scientifique complète n'a à ce jour été produite par l'équipe de M. Wahib. Une publication qui, assurent les archéologues jordaniens, ne saurait tarder.

Stéphane Foucart (Le Monde interactif)