Le journal de bord

Jour 1 / le 13 décembre
Lever au port, direction les douches – dernière douche avant un mois ! Puis derniers préparatifs avant le départ. Pascal veut mettre sa girouette en tête de mat. Malheureusement en la montant dans le seau, celle-ci tombe et se casse. Nous serons sans girouette. Derniers rangements, à 11h30 nous trouvons un restau pour un dernier déjeuner à terre. C’est vite expédié et nous sommes fins prêts. Quelques coups de fils plus tard nous larguons les amarres.
La sortie de la place n’est pas sans émotions. Le vent s’est levé, nous souffle droit dessus et fort et la sortie se fait donc en marche arrière jusqu’au refueling. La sortie du port est plus classique – et pus digne – et nous trouvons 25 nœuds de vent pour nos premières heures en mer. Notre choix : la route du nord, le contournement de Gran Canaria par le nord, et non pas la route du sud vers le Cap Vert. Les dés sont jetés, ce sera une orthodromie ou presque.
Ca souffle bien tant que nous sommes au nord de l’ile, mais en la contournant le vent du sud est bloqué par l’ile et nous voilà à une allure bien plus tranquille. Et nous mettons le moteur une heure car vraiment nous n’avançons plus… Les quarts se mettent en place doucement, je prépare le diner, et les premiers dauphins viennent nous rendre visite. Ils sont très intrigués par l’hydro générateur, cette petite hélice qui tourne en ne faisant pas le bruit habituel des hélices de moteur. Les voilà qui tournent autour, se rapprochent à la toucher pour se détourner au dernier moment. Nous nous demandons même s’ils ne vont pas l’abimer d’un coup de nez. Après 5 minutes, ils s’en éloignent et continuent à jouer autour du Gaedou, à passer devant l’étrave, nager à l’envers – on voit leur ventre blanc, à faire le malin – un qui fait une trainée de bulles, comme un contrail d’avion. Un vrai spectacle pendant 10 minutes. Et ils repartent.
Premier beau coucher de soleil. Et nous décidons que le Gaedou serait à l’heure de Paris et non l’heure universelle, pour mieux nous caler par rapport au soleil.

28°14’07 »N,15°28’27 »W (position à 16h00 UT). C’est parti ! Les premiers dauphins, curieux, sont venus voir l’hydro générateur. Premier coucher de soleil flamboyant. Bilan de la journée : du vent en sortie de Las Palmas, plus beaucoup (8-12 nœuds) au nord de Gran Canarie. Nous passons au sud de Tenerife. Le bateau se traine doucement dans la pétole en début de soirée …
La nuit tombe pendant le diner, salade de tomates, concombre et jambon belotta. Il n’y a quasiment plus de vent. Nous sommes ballottés misérablement, nous nous trainons à moins de 2 nœuds… j’ai le quart de 5h30, je pars me coucher, un peu nauséeux. Impossible de m’endormir d’ailleurs. Je pense à plein de choses, l’excitation du départ me rattrape.
Nous mettons deux heures de moteur pour le premier quart de nuit. Les quarts s’enchainent, je sors de la cabine à 5h du matin pour un beau ciel plutôt dégagé : Orion en majesté, les pléiades, mais un ciel un peu pollué par les lumières de Tenerife que nous visons.

14 décembre
Après une nuit sans beaucoup de vent, le soleil est là et le vent reprend un peu. Pas suffisamment pour notre goût.
La nuit fut claire, retour des dauphins à 2h, pluie d’étoiles filantes. La routine. Nous passons devant le volcan de Tenerife vers 12h00. Retour des dauphins vers 16h… et nuages lenticulaires sur le volcan de Ténériffe (voir photos)… Journée tranquille, entre 10 et 15 nœuds de vent. Il fait bon la journée et la nuit est douce (on prend les quarts avec une polaire seulement). Nous n’avançons pas au rythme où nous le souhaiterions… Mais les vents sont les patrons… Au moins, pas de moteurs aujourd’hui ! La bonne nouvelle : l’hydro générateur fonctionne parfaitement : le pilote auto est branché en permanence, les batteries sont pleines. Grand confort.

Misère de vent le matin, qui se lève pour atteindre 10-15 nœuds dans l’après-midi, pour retomber dans la soirée. C’est frustrant car nous n’avançons pas au rythme souhaité. Les iles des Canaries perturbent les vents et nous avons hâte de sortir du passage des iles. Nous longeons péniblement l’ile de Ténériffe, son volcan, que nous avons bien le temps d’admirer. La journée s’occupe tranquillement : déjeuner de confit de canard haricots verts, avec pas mal de gite ; revue sécurité dans l’après-midi : utilisation de la perche IOR, revue du radeau de survie, etc. Au diner, œufs brouillés aux cèpes, banane, pommes. Il y a encore 2-4 jours de frais. Je dors pas mal ayant eu une nuit exécrable la veille. Et je me sens toujours barbouillé.
J’ai le quart le plus confort, 22h-0h30. Il fait plutôt plus frais qu’hier soir – à moins que ce ne soit la fatigue. Le ciel est dégagé en partie, on voit bien la voie lactée. Il y a toujours une pluie d’étoiles filantes : il suffit de lever la tête pour en voir une. Plus étonnant, une qui a tenu 2-3 secondes, avec une teinte verte. Un spectacle rare.
Mardi 15 décembre
Au réveil à 8h, le soleil n’est pas encore levé ; je prends le quart après Pascal. Nous avançons mieux déjà, le vent s’est levé à 15 nœuds et nous approchons des conditions que nous devrions avoir désormais : houle, largue, 15 nœuds, 5-6 nœuds d’allure. Temps dégagé, température douce. C’est l’heure du petit déjeuner.
Le temps est très changeant : toujours beau, toujours chaud, mais le vent se lève soudainement pour monter à 15-20 nœuds pendant une heure ou deux, et retomber à 5-8 nœuds. La houle est bien formée, avec des vagues de 2 mètres ; étant grand largue voire vent arrière, et pas complètement dans l’axe de la houle, les périodes de vent faible sont désagréables.
Au déjeuner, riz au curry vert ; Henri lance la ligne et après une heure nous ramenons le premier poisson. Pas bien gros, pas bien beau, mais il sera dégusté ce soir.
Par dépit, nous lançons le moteur à 17h30 ; cap au nord-ouest, pour essayer de récupérer du vent. Mais il semble clair que nous aurons 3 jours de vents faibles, avant ce qui devrait être un vent plus marqué et plus stable sur le reste de la traversée. Nous passons donc nos journées à lire, sieste, film.

Le vent s’est levé et pousse le Gaedou, enfin. Entre 15 et 20 nœuds, avec des pointes à 22-23, une houle bien formée, c’est tout de suite plus sportif. A minuit, Pascal ne maitrise plus le voilier qui part en lof, empanne sauvagement, bref il faut faire quelque chose. Les mines des 3 sortant de leur couchette, hébété, vaut le détour. Nous nous habillons vite fait – veste de quart et gilets sont de sortie – pour accompagner à la manœuvre, objectif : prendre un ris. Ça ne se passe pas comme prévu, un manillon de l’écoute de GV saute et finalement nous rentrons la GV. La nuit se passe au foc seul, qui nous pousse quand même à un bon 5 nœud. Nous sommes tous claqués, du rythme des quarts à prendre, du contre coup du départ : Yves, Henri dorment mal, j’ai du mal à tenir éveillé pendant mon quart. Il faut plus frais (veste de quart et polaire de rigueur) ; le pilote tient son rôle et mène la barque, il n’y a qu’à attendre, s’assurer que le pilote ne saute pas, observer les étoiles. Après le grain essuyé par Pascal, le ciel se dégage progressivement : plus d’étoiles filantes, plus de dauphins, la lune en premier quartier se couche tôt – vers 10h du soir, ne restent que les étoiles, nettes et nombreuses quand les nuages s’écartent.
Mercredi 16
Nous sommes désormais sortis des Canaries. Le vent est plus franc, plus de terre en vue, la traversée commence vraiment. La journée d’hier a encore été relativement frustrante, avec des pointes de vent à 20 nœuds pendant 2 heures suivis de plat pendant 3-4 heures. Au point que nous avons mis 2 heures de moteur pour nous extirper des conditions de vent des Canaries et récupérer le vent annoncé au ouest nord-ouest.
Ça a marché en début de nuit, avec un premier quart mouvementé – 20-22 nœuds de vent, une belle houle de 2 mètres : nous décidons de prendre un ris et finissons par rentrer la grand-voile pour cause de manille d’écoute de gv qui a lâché. C’est ballot. Le reste de la nuit se fait donc au génois qui nous assure quand même un 4 nœud d’allure.
L’ambiance à bord est bonne, une certaine fatigue car il faut s’habituer au rythme des quarts de nuit, mais rien de grave. Henri a pêché un poisson (petit et moche) qui est reparti à la mer. Les repas se prennent dans le cockpit, car il fait doux et beau. Et cette nuit, fin des étoiles filantes, mais un ciel qui, quand il se dégage, est lumineux des étoiles, avec en particulier Orion en majesté et Sirius qui éclaire autant qu’une planète. Plus de photos du bord: nous sommes loin des côtes et de la couverture 3g et communiquons désormais par téléphone satellite.

Au réveil, je retrouve Pascal à 9h. Nous montons la GV et le gennaker, le vent s’étant bien calmé en fin de nuit. Il y a maintenant moins de 10 nœuds de vent. L’équipage sort progressivement de ses cabines, après une nuit pas assez réparatrice. A 11h de bord, le vent est complètement tombé depuis une heure et nous mettons le moteur. Régime moteur toute la journée hélas. Une journée de transition qui permet de vaquer, sous un soleil soutenu mais une température pas trop chaude, à toutes les opérations de bord : nettoyage de fond en comble du cockpit / carré / toilettes ; lessive pour moi ; toilette de chat à l’eau de mer et au seau, qui m’a fait un bien fou. Nous aurions pu nous baigner, ce sera pour la prochaine journée de pétole. Normalement demain…
Et premier envoi de point (GPS + journée) par iridium, qui fonctionne comme prévu. La journée se passe autrement en siestes, lecture et films, chacun dans son coin. Déjeuner ensemble bien sûr, avec des pâtes sauce tomate et chorizo préparées par Henri, un délice.
Et un nouvel essai de pêche : Pascal envoie la ligne pendant la journée, puis une traine qui perd sa planche, planche récupérée par la ligne ! Journée sans grand intérêt donc, tout est un peu raté. Mais il est également nécessaire de récupérer, de se mettre dans le rythme : la vraie coupure a lieu en ce moment – jusqu’à hier matin, nous avions encore des sms – et psychologiquement je suis sûr que cela a un impact sur l’énergie du bord. De mon côté, après avoir été barbouillé les jours précédents, cela commence à aller mieux. Les phases de vent arrière et faible, à être balloté, restent difficiles, mais le mélange de sommeil à tout bout de champ et d’amarinage progressif fait son effet.

La nuit se passe sans encombre : nous avons arrêté le moteur à la tombée de la nuit et nous sommes résignés à tourner à 1-2 nœuds avec les 5 nœuds de vent disponible. Le quart se fait plus facilement qu’hier, malgré l’horaire le plus difficile a priori (3h-5h30). Un bon film et c’est passé (Love and mercy). Il fait frais et surtout très humide, l’absence de vent fait suinter l’humidité partout. Rien ne sèche, les oreillers sont humides, la lessive met 2 jours à sécher…
jeudi 17 décembre 2015
Au réveil, le soleil qui se lève à 8h50 heure du bord à une forme ovale, étiré dans les nuages. Cela dure quelques secondes. Nous relançons le moteur la mort dans l’âme, pour avancer un peu. Pendant la nuit, il y a eu 2 ou 3 épisodes de vent à 8-9 nœuds, avec un Gaedou répondant bien (3 nœuds) mais la tendance est faiblarde. L’espoir reprend après l’échange de mails avec Yves et la récupération d’un grib : changement de cap, nous partons vers le sud-ouest pour nous rapprocher de l’ortho et récupérer du vent à compter de samedi. Et miracle, en virant de bord nous avons 8 nœuds de vent qui nous permet de repasser à la voile, avec une vitesse marginalement inférieure à celle du moteur (3 / 3,5 vs 4 nœuds) et un confort général bien supérieur.
Déjeuner de confit de canard en sauce, puis nettoyage du pont pour moi. Notre rythme est désormais bien établi, l’ADN du bord : P T Y H, Pascal Thomas Yves Henri dans l’ordre des quarts. Et un partage des rôles pour les 4 activités supplémentaires de la journée, déjeuner / diner / vérifications de sécurité / nettoyage. Ça tourne et se fait sans encombre. La nuit, selon son quart, chacun se prépare : Pascal et moi partageons la cabine avant pour le rangement de nos affaires, Pascal passant avant moi j’ai tendance à démarrer ma nuit, et, réveillé par Pascal, je me lève et sort mon sac de couchage et mes affaires dans le carré pour continuer ma nuit, une fois mon quart terminé, dans la cabine libérée par Yves pour son quart. Ça tourne tout seul.
Les prévisions d’arrivée ne manquent pas de générer de la conversation. Nous avons toujours lu qu’il y aurait 3-4 jours de vents faibles, le manque de chance est de les avoir au début : nous n’avons pas une idée précise de la distance que le Gaedou peut parcourir sur 24h, dans des conditions normales de vent. Et c’est une donnée importante… le dernier routage envoyé par Yves, aujourd’hui, nous donne une arrivée au 2 janvier – je doute que le Gaedou soit aussi performant que le modèle, et il est plus probable que nous mettions 4 jours de plus. La question se posera alors de notre point de chute, les Tobago Cays ou la Martinique directement. Nous en saurons plus samedi matin : avec un point fixé sur une performance attendue, nous pouvons soit l’atteindre à 2h du matin (modèle Yves) ou 8h (modèle Thomas), soit 40h à perf théorique vs 46h en perf attendue… un écart de 15% qui sur le temps restant nous rajoute 2 à 3 jours, soit une arrivée au 4 janvier. A suivre.

Jeudi 17 décembre matin

La nuit s’est passée très calmement: aucun vent. Nous avons progressé à 1,7 nœuds de moyenne sur les 10 dernières heures. Pas brillant. Et la nuit fut particulièrement humide par rapport aux nuits précédentes. Une bonne humidité qui commence à tomber dès 18h.
Et nous remettons le moteur à 9h du matin, avec une perspective de moteur toute la journée – toujours dans une stratégie de récupération du vent un peu plus loin. En termes de voile pure, ce n’est donc pas brillant: moteur hier, moteur aujourd’hui. Mais au moins il fait beau!

Les quarts se sont clairement relâchés hier. Le bateau se gère tout seul, au pilote auto: il n’y a rien devant – nous sommes absolument tous seuls, et pas vu de bateau depuis 36 heures. Pascal a sorti les lignes, sans succès; lessive à l’eau de mer pour Thomas; lecture, films pour tout le monde. Et siestes. Et les journées passent vite!

Vendredi 18 décembre

Quart de nuit: nous dinons la nuit à peine tombée, vers 19:30 heure du bord (pour l’instant, heure française). Chacun s’égaie ensuite: celui qui fait le quart de 8 à 10 reste au cockpit bien sûr, celui qui va se lever à 3h va se coucher, les autres vont dans leur cabine et lisent ou regardent un film.
Le quart de 20h est calme: 8-10 nœuds de vent régulier, 4-5 nœuds d’allure. La lune au premier quartier se couche plus tard que les nuits précédentes, et est bien sûr plus lumineuse chaque jour. Sa lumière laiteuse éclaire la houle – une houle majestueuse, profonde, régulière – et cela donne l’impression d’être sur un tapis volant. Le Gaedou avance tranquillement – pas assez vite diront certains – mais nous avançons. Le ciel est très clair cette nuit: pas un nuage dans le ciel. Orion se lève et on voit bien le rouge de Betelgeuse; à tribord, les 3 belles d’été, au zénith de notre ciel d’été français, sont sur l’horizon, triangle penché. Le dépaysement n’est que partiel d’avec le ciel de nos latitudes.
Ce sont ces moments-là qui justifient la traversée : seul au milieu d’un désert mouvant, à voir la trace – qu’on perçoit de nuit plus rapide qu’elle ne l’est – laissée par le voilier, sous un ciel étoilé changeant de nuit en nuit – car le quart oblige à se lever, et a des heures différentes. Et au quart de fin de nuit, Orion est passé de l’autre côté du ciel, nous avons Sirius comme cap. La lune s’est couchée, la mer est d’encre et quelques nuages empêchent de bien voir la voie lactée. Deux petites étoiles filantes pour démarrer le quart et me voilà installé.

Hier après-midi, voile tout du long à un petit 4 nœuds, insuffisant d’un point de vue d’arithmétique pour arriver rapidement, mais toujours préférable au moteur. La pêche est toujours infructueuse, on insiste quand même. Les nuits sont relativement fraîches.
Au réveil, le vent a fraichi légèrement (10-12 nœuds) et au travers nous faisons un 6,5 nœuds rassurant pour la suite. La stratégie est claire désormais : retrouver l’orthodromie (le plus court chemin entre deux points sur une sphère) car le ratio distance à parcourir / vents présents nous est favorable. Et de toute façon c’est aussi le chemin le plus court.

Samedi 19 décembre

Retour sur la journée de 18: une des premières presque pleinement satisfaisante en voile: du vent stable une bonne partie de la journée, avec une vitesse moyenne entre 5 et 6 nœuds; une progression dans le bon sens; et enfin, des prévisions météo et un routage qui collent à la réalité. Tant et si bien que la bascule de temps prévue pour la soirée puis la nuit – avec décroissance du vent, pour se retrouver avec rien ou si peu d’air et de face – nous tombe effectivement dessus a l’heure prévue, en début de nuit. C’est un mal pour un bien: normalement, nous récupérons demain l’ « autoroute », les vents stables de 15 / 20 nœuds que nous poursuivons depuis bientôt une semaine, et si tout va bien devraient nous porter, sans ces creux d’une demi-journée ou plus, jusqu’aux Antilles.
Un certain optimisme règne donc à bord, avec un pari ouvert sur la date d’arrivée au premier mouillage. Le gagnant se voit offrir le diner par les 3 autres. Résultat dans 3 semaines.

Les journées ont beau être sans relief – plus de dauphins, un oiseau par jour malgré la distance des côtes, toujours rien de pêché depuis la première tentative – elles passent vite. Les quarts s’enchaînent, mais le pilote auto fait quasiment tout le boulot. La routine : récupération des données météo et du routage par tel satellitaire, nettoyage du bord, préparation des repas se fait sans accroche. Quelques discussions sur les options de route, l’envoi du gennaker quand le vent faiblit, et les fondamentaux sont couverts. Le complément, ce sont sieste (les quarts de 2h30) par nuit perturbe le sommeil quand même), lecture, un peu de musique, regarder la mer, la houle – c’est hypnotique – et la journée est déjà passée.

Après une nuit sans vent, comme prévu – mais alors vraiment sans vent, avec des vitesses enregistrées à zéro nœud pendant 10 minutes – le vent a repris, avec quelques heures de retard par rapport aux prévisions (3 heures pour être précis). La nuit sans vent, avec la lune, c’est un paysage étrange. La réflexion sur la houle fait comme une peau noire de lézard qui ondule doucement, avec des écailles lumineuses. C’est un moment à la fois frustrant et reposant, en tout cas pas stressant pour un sou. Mais le réveil avec 10-15 nœuds de vent, une mer pas trop formée, de bonnes conditions pour un réveil finalement, c’est mieux. La journée risque d’être couverte, nous rentrons dans une queue de dépression.

Samedi 19 a-m et dimanche 20 matin

Le vent est là ! Et bien présent: 18-20 nœuds bien établi, une bonne houle de 4 / 5 mètres qui a des airs d’Interstellar quand on est au fond de la vallée liquide. La trace est tout de suite moins droite: pas facile de tenir un cap parfaitement net quand le voilier arrive en haut de la colline et se prend à la fois le surplus de vent et le début de descente – évidemment pas dans l’axe de la houle. Ca surfe, ça tangue, ça ballotte. Il y a du bruit de partout: les vagues bien sûr, l’écume qui se dissout après le passage du bateau, l’eau sur la coque (dans la cabine avant, ça ressemble au gargouillis des bulles après un saut dans l’eau – sauf que ça dure tout le temps), les craquements divers de plastique, de bois qui joue dans les cabines, les écoutes tendues, les voiles qui claquent à la saute de vent, le pavillon qui claque sans fin, la fréquence aiguë de l’hydro générateur qui tourne à plein. Ca vit, quoi.
Apres des journées plutôt chaudes – 26° en journée, et vu le peu de vent on tenait dehors aisément en t-shirt – ça s’est bien rafraîchi aujourd’hui. On supporte la polaire. Mais au moins, c’est sec: pas d’embruns balayant le plat bord, pas de pluie. Le ciel est bleu mais nuageux, nous profitons à plein de la queue de dépression plus au nord, et espérons faire notre première journée a plus de 100 miles en 24 heures. Les paris sont d’ailleurs ouverts, et tournent entre 130 et 150 miles (ce qui est, pour le coup, très optimiste). Mais nous devons maintenir ce rythme soutenu, et donc espérer des conditions inchangées pendant les 2 semaines qui restent, pour un atterrissage possible le 5 ou le 6 janvier. Cela promet des repas sportifs: pas facile d’éviter les assiettes renversées avec la gite et les secousses.

En attendant, la lune est à moitié pleine et bien visible en plein jour. A 16h, et loin de tout, nous avons encore vu un oiseau, une sorte de grosse hirondelle qui virevolte au ras des vagues. On en voit une presque chaque jour, à se demander si c’est la même qui nous suit et trouve refuge en douce, pour la nuit, sur le Gaedou.

La nuit: on a voulu que ça souffle, on l’a avec les conséquences : les nuits sont nettement moins facile quand ça bouge et ça grince. Les mines en prise de quart sont renfrognées d’un réveil trop tôt pour cause de sommeil trop court, la faute au temps pour trouver la bonne position, selon qu’on préfère subir le roulis ou le tangage. Le vent n’a pas molli de la nuit, avec même des risées à 30 nœuds. Sous gv avec un ris et pas de génois, nous tenons nos 6 nœuds avec un confort relatif. En prenant le quart de nuit, en plein vent arrière avec la houle qui nous accompagne, et sous la lumière de la lune, cela donnait l’impression d’être au milieu d’une meute de chiens qui entouraient le voilier et le dépassaient à la course.

Ce ne sera pas une journée de bronzette! Mais quel plaisir de voir le point qui avance sur la carte!

Dimanche 20

Premier signe d’activité humaine depuis les Canaries: nous apercevons au loin un cargo, un gros bazar type méthanier. Il disparait tranquillement à l’horizon, dans un des grains qui nous entoure. Car cette matinée continue sur le même rythme: 15-20 nœuds, et toutes les heures des montées dans les tours, avec passage à 23-28 nœuds. On commence à s’habituer, et regarder avec amusement les notes des premiers jours du journal : ‘risée à 12-13 nœuds’.
Nous sommes plein vent arrière, la mer a été plutôt croisée une bonne partie de la journée, avec toujours une bonne houle – moins marquée qu’hier – et des vagues sur la houle. Mais pas de déferlantes, c’est toujours ça. Je profite d’un moment plus calme après un grain pour écrire, on voit un peu plus de ciel bleu, mais voilà une nouvelle risée qui se pointe. Il fait nettement plus frais – 20-22° je dirais – et le matériel imperméable est de sortie.

A 11h, bruit d’évent à tribord : deux, puis trois dauphins longent le Gaedou. Ils ont mieux à faire que jouer et disparaissent aussi sec.

Voilà une semaine que nous sommes partis. Il nous reste 2000 milles à couvrir sur les 2700. Les 5 premiers jours ont été frustrant en voile, mais depuis hier matin la moyenne est bien meilleure, 144 milles en 24 heures, 5,5 nœuds de moyenne depuis minuit aujourd’hui. Nous avons fait un inventaire rapide: il y a de l’eau en quantité suffisante, en nourriture aussi; ça sera ric rac en café, thé et chocolat. On survivra!

Nous avons diné pour la première fois dans le carré : il faisait trop frais dehors. Et c’est une drôle de sensation de subir les mouvements de vague sans savoir d’où ils viennent… La nuit a été très noire, venteuse, et bruyante. Pas mal de vent, des vagues, rien de bien plaisant, et un sommeil haché pour tous. Au réveil nous semblons être sortis de la zone difficile: le soleil est revenu et le vent se maintient à 15 nœuds. 144 milles de parcourus en 24 heures, ce sont de bonnes moyennes ces deux derniers jours.

Lundi 21 décembre
Apres 2 jours de temps couvert, de grains, de mer plutôt difficile, le retour du soleil est salué par tout l’équipage : on ressort les shorts et les lunettes de soleil. Le vent se stabilise à 15 nœuds, avec ses habituelles risées a 20-23, mais on s’y habitue; les départs au lof, on s’y habitue; ce qui est plus difficile, c’est de s’habituer à cette cochonnerie de poulie de génois qui claque sans fin, à chaque fois que le vent arrière remplit la voile avant qu’elle ne se dégonfle et CLANG ça recommence en boucle. C’est vraiment le bord le plus pénible.

Nous avons déjeuné des dernières tomates à midi. Il ne reste plus beaucoup de produits frais, finalement nous aurions pu en prendre plus – surtout les pommes. Le frigo fonctionne sans impact majeur sur la batterie – merci l’hydro générateur – et notre installation d’un filet à l’extérieur, un grand classique des traversées, a été aussi très efficace pour conserver fruits et légumes. Les deux (frigo et filet) ont permis d’améliorer le quotidien. Nous allons passer à un régime exclusivement de boites de conserves, que nous n’appréhendons pas d’ailleurs, nous avons plutôt des bonnes surprises. Ou alors, c’est que, comme le dit Pascal, en mer tout est bon.

En attendant, nous avons quand même pu savourer: œufs brouillés aux cèpes, pâtes au chorizo, salade d’avocats, pâtes aux champignons et crème, etc. on ne se laisse pas abattre.

Ce matin, Henri trouve un encornet de 10 cms sur le plat bord. On a dû l’embarquer lors d’une gite un peu plus marquée. Il est reparti dans son élément. La nuit a été agitée – rien de grave -, mais je garde ça pour demain.

Mardi 22 décembre

3h du matin – de la cabine, ça commence avec un grand dérapage, les voiles qui claquent. Normalement, ça se remet tout seul en place au bout de 5-10 secondes, mais là ça dure et ce n’est pas bon signe. Plus mauvais signe, le swossh de la bôme qui empanne. D’un coup on glisse d’un bord de la couchette à l’autre, pas grand-chose à faire que de se laisser faire, c’est une sensation amusante. Mais le vacarme a encore monté d’un cran: ca faseye dans tous les sens, les voiles claquent, ça dure: pas bon signe du tout. La minute qui suit tout le monde est sur le pont, à demander si on peut aider: on peut. C’est la grouille: plus de prise, le génois s’est enroulé sur lui-même et impossible de le reprendre depuis le cockpit. On part à l’avant (évidemment sécurisé : gilet et longe sur la ligne de vie), il y a 25 nœuds de vent et ça bouge pas mal. L’écoute est passée derrière le bout-dehors, enroulée autour de l’ancre, c’est un joyeux foutoir à démêler. Une fois que c’est fait, dérouler le génois a la mimine n’est pas une mince affaire, le vent s’engouffre dans le moindre bout de toile qui se libère. Ensuite il faut démêler les écoutes qui ont fait plusieurs tours autour de l’étai. Ca mouille. Retour au cockpit, un ris à prendre maintenant – c’est l’excès d’optimisme de la soirée qui nous a mis dans cette situation, nous pensions que le vent resterait aux 18-20 nœuds. C’était sans compter sur les grains que nous nous prenons dans la nuit, avec des pointes à 30 nœuds, une mer assez pourrie, nous ne referons pas la même erreur deux fois. Au moins la prise de ris se passe plutôt bien, nous commençons à être rodés.
Et tout le monde repart à ses occupations: fin de nuit, prise de quart ou fin de quart, et nous revoilà repartis entre 6,5 et 7,5 nœuds, à filer sur les vagues sous les étoiles – quand les nuages s’écartent.

Le matin, la mer est plus plate, le soleil est là. Les risées aussi. Ça secoue pour le déjeuner de confit de canard / purée dans le carré : on tient son verre d’une main et la fourchette de l’autre pour éviter les renversements. Nous sommes condamnés à des nourritures qui se détachent à la fourchette.

Dans l’après-midi : le bonheur, c’est simple comme 4 carrés de chocolat au doux soleil de décembre, un bon vent dans le dos et du Slade à fond dans les enceintes.

20:30: tout est prêt pour la nuit. Quelques nuages dans le ciel, en sortant dans le cockpit, Betelgeuse est au rendez-vous plein est. Le fin de journée a été enthousiasmante : Yves regarde vers 17h la ligne qui traîne depuis le matin et que personne ne surveillait: la planche sautille! Nous ramenons la ligne pour y trouver au bout une belle dorade coryphène d’un bon kilo. C’est un peu la boucherie à bord pour la vider et elle finit au four pour le diner. La bestiole a quand même mordu alors que nous avancions à 6-7 nœuds, de plus elle devait être accrochée depuis un moment car nous avions eu un doute 2 heures plus tôt. Un délicieux diner donc, suivi d’une décision radicale: nous affalons la grand-voile pour n’être qu’au génois. Le confort pour une perte minime de vitesse. Beaucoup moins de départs au lof, plus grande stabilité générale. Il faut dire que se faire secouer depuis bientôt 3 jours par force 5, ça fatigue.

23 décembre

10 jours aujourd’hui. Nous devrions être à mi-chemin le 25; nous commençons à avoir des dates d’arrivée dans les simulations de routage. Ce sera entre le 4 et le 6, nous devrions donc avoir un ou 2 jours de tranquillité dans les îles avant de repartir de Martinique.

Les journées passent terriblement vite: levers entre 8h pour celui qui prend le premier quart de jour et 9h30 / 10h pour celui qui a eu le sale quart de 3h-5h30; toilette rapide, points divers: calcul de distance parcourue sur les 24 dernières heures, récupération du fichier météo et envoi du message quotidien pat tel satellitaire ; debrief sur le cap suivi, les options, et décision pour la journée. Se rajoute à cela le choix des voiles après la nuit. Cette nuit, la décision de n’avoir que le génois fut la bonne: nous avons eu des pointes durables à 35 nœuds. Même avec un ris le Gaedou aurait souffert. Et finalement la moyenne n’a pas trop souffert.
Et ce matin, nous avons testé le gennaker tout seul, voile à mi-chemin entre le génois et le spi. On y gagne en vitesse – un à deux nœuds – mais l’instabilité générale augmente fortement et ce n’est plus tenable quand les grains nous tombent dessus, ce qui arrive encore avec une certaine régularité. Donc: retour au génois.

Le moral est toujours là, personne n’exprime d’états d’âme particuliers. On voudrait tous que la mer soit un peu moins hachée, peut-être un vent un peu moins fort pour souffler et dormir un peu mieux, mais à part ça les jours se suivent, se ressemblent en grosse masse mais ont ce qu’il faut de petits événements pour les épicer. On se marre bien.

Il suffit de dire qu’on souhaiterait un peu moins de vent pour en avoir, et se rendre compte qu’un voilier qui avance bien c’est quand même agréable. La mer est plus calme ce soir, la houle a disparu. Vers 17 heures nous avons vu nos premiers poissons volants, petits trucs bleu gris sautant d’une vague à l’autre dans un brouillard de battement d’ailes.

Et encore une fois pendant les manœuvres ce matin: une dizaine, effrayés par notre passage, qui s’enfuient à tire d’aile, petites flèches argentées dans le soleil du matin.

24 décembre

La nuit fut courte et mouvementée. Le vent s’était bien calmé dans l’après-midi du 23 et nous nous étions dit – à tort – que c’était le calme du 24 qui arrivait avec 18 heures d’avance. Au lit donc avec grand-voile (un ris quand même) et génois. Mauvaise pioche: nous nous sommes encore pris plusieurs grains dont un à 2 heures du matin qui nous a poussé à affaler la gv, jamais très confortable de nuit avec 25 nœuds de vent et la mer qui va avec. Et comme ça ballotait pas mal ensuite – plein vent arrière avec cette mer hachée – et que la cochonnerie d’écoute de grand-voile s’est mise à couiner à chaque vague, les réveils furent prématurés et les yeux petits. Et un peu de tension due à la fatigue, surtout que nous avons eu des problèmes avec le gennaker, qui ont même nécessité un travail de couture (à la pince) de Pascal.

Heureusement, le beau temps est revenu, le vent est là mais plus maitrisable (15 nœuds), fin des grains, ciel bleu, on ressort les shorts et les lunettes de soleil et on rentre les polaires (jusqu’à la nuit). Nous voyons de plus en plus de poissons volants: certains font des vols de 100 mètres, ajustent leur trajectoire en plein vol: c’est tout à fait fascinant. On en a retrouvé un à l’avant du Gaedou, victime d’une collision.

Beaucoup de discussions sur la stratégie de route: les routages avec prévisions à 16 jours nous disent d’aller plein ouest pendant 3 jours avant de descendre sud-ouest, plutôt que notre route actuelle sud sud ouest. C’est la différence entre le virtuel et la réalité : le cap plein ouest est dur à tenir et clairement moins confort car plein vent arrière. Cependant nous ajustons sous peu sur ce cap plein ouest pour profiter d’un changement annoncé de vent au nord-est. Et après deux jours et demi de ce plein ouest, ce sera cap sud-ouest non-stop jusqu’aux Antilles.

Ce soir, réveillon à bord.

24 au soir, 25 décembre

Henri prépare le réveillon : confit de canard, pommes de terre sautées, haricots. Un petit Gigondas pour agrémenter le tout. Nous dinons dans le cockpit, la mer est calme, peu de vent, les conditions sont idéales pour un diner tranquille. Le temps s’est bien calmé, comme le disaient les prévisions météo, et c’est un répit apprécié par tous: moins de bruit, moins de mouvements erratiques, moins (plus) de grains. Le coucher de soleil est superbe. Les couleurs du ciel ont la douceur d’un tableau de Poussin, passant d’un rose délicat à un bleu léger.

Les quarts sont plus apaisés- on s’ennuierait presque – mais le 25 au matin tout l’équipage peut témoigner d’un sommeil plus profond que les nuits passées. Les sourires sont là dès le matin.

Nous commençons la journée par la distribution de cadeaux de noël, puis c’est la bulle totale: avec 8-10 nœuds de vent, sous gennaker seulement, nous avançons à 4-5 nœuds. Le ciel est bleu avec quelques nuages, le soleil est là et il fait chaud. Matinée de lecture très tranquille. Nous déjeunons des dernières denrées fraîches (tomates, œufs, avocats), avant de profiter de l’absence de vent et de la chaleur pour nous baigner, quasiment à mi-chemin entre les Canaries et les Antilles (nous serons effectivement à mi-chemin à minuit ce soir). L’eau est douce et nous en profitons pour nous laver au-delà de la toilette de chat des autres jours. Il est possible que nous n’ayons plus l’occasion d’un bain en pleine mer: dès demain, c’est le retour du vent qui devrait nous porter – normalement – d’une traite jusqu’au Tobago Cays – ou la Martinique si nous sommes trop courts en temps.

A 21h, nous franchissons la barre symbolique de mi-parcours: 2700 milles à parcourir, 1350 d’effectués en un peu plus de 12 jours. Après 4-5 jours de frustration par manque de vent, puis 4-5 jours assez éprouvants du fait des conditions de mer, nous venons d’avoir 36 heures de pause bienvenue et normalement devrions repartir avec du vent demain le 26. Si tout va bien, et sans arrêt de vent jusqu’à l’arrivée; nous devrions donc mettre un peu moins de 12 jours pour la deuxième partie.

Une belle journée de noël !

26 décembre
La journée du 25 se finit dans le cockpit, à admirer le lever de la pleine lune plein est. Puis chacun part à sa cabine: les quarts de nuit peuvent commencer. A part un grain à 3h du matin, qui dure 5 minutes mais oblige à rentrer le génois en urgence, la nuit est calme, trop calme. Avec moins de 10 nœuds de vent arrière, nous revenons aux sales allures où le génois claque du manque de vent et le Gaedou est balloté par les vagues. Le vent se lève avec le soleil, timidement. Les prévisions annoncent du vent à partir de la mi-journée, mais nous n’avions pas prévu la pluie du matin. Un gros nuage nous suit toute la matinée et ça tombe dru par moment. Nous avons quand même droit à un superbe arc-en-ciel quasi complet, d’une belle densité de couleurs et double à un bout.

L’équipage est fatigué, le rapport au temps à bord est très particulier. Les journées sont très hachées et relativement courtes: les levers se font entre 8h30 et 10h, à 20h il fait nuit et certains se couchent directement, selon leurs heures de quart. Le quart de nuit – 2h30, à partir de 22h, et tournant chaque jour – fait que nos nuits sont toutes coupées à des moments différents chaque nuit. A cela se rajoutent les réveils hors quart quand le bruit indique une situation critique, et qu’il faut donner un coup de main dynamique à peine réveillé. Pas facile de se rendormir directement ensuite, et ce sont encore des heures de sommeil de perdues. En journée, chacun fait une sieste quand il peut, ce qui rajoute au manque de rythme général. A cela se rajoute l’ajustement de l’horloge de bord tous les 2 à 3 jours: pour prendre en compte notre avance vers l’ouest, nous enlevons 30 minutes tous les 5 degrés de longitude. Ce qui décale à nouveau le rythme.
En gros, on est en permanence à essayer de rattraper un certain manque de sommeil, toujours à peine réveillé ou en passe d’aller dormir.

A 14h30, nous avons la visite d’une dizaine de dauphins pendant 10 minutes. Ils sont plus petits que ceux des Canaries, passent et repassent devant l’étrave et disparaissent soudainement. Mais il y a des journées où tout conspire à toucher au moral: nous sommes loin de tout, à mi-chemin à peine dépassé, et nous voilà avec 6 nœuds de vent, une pluie battante, et même Yves (!!) met spontanément le moteur pour s’échapper de cette nasse. Une heure plus tard, le ciel ne s’est pas dégagé mais le vent est revenu, et toujours sous la pluie nous continuons notre route. La nuit se passe au génois, sans histoire, mais de beau ciel étoilé : nous sommes suivis par une dépression. Nous attendons tous le retour du beau temps!

27 décembre
Je vous écris à mille milles de toute terre. Petite croix au milieu de l’océan d’une carte dépliée, petit point bleu dans le logiciel météo, petit voilier schématique sur une carte en ligne, loin de tout, dans le désert liquide. Désert liquide et plafond bas, averses fréquentes et cuisine acrobatique, manœuvres huilées d’être répétées chaque jour, équipage fatigué qui sait qu’il a encore 10 jours devant lui.
A mille milles de toute terre, il faut flotter ou nager pour survivre. Et ainsi cet oiseau, cette grosse hirondelle, que nous voyons tous les jours à virevolter au-dessus des vagues, est un mystère : se pose-t-il la nuit? Si oui, quand? Nous l’avons aussi vu passer, fantôme éclair, de nuit à frôler l’arrière du Gaedou.
Je vous écris de deux semaines à bord, deux semaines d’une rout